Page 4 - Science d'Hermès
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signes et les mots n'ont de réalité qu'en tant que traces de l'esprit,
chiffres d'un Sens qui est la réalité même, centrale et polaire, d'où
toutes les réalités contingentes tiennent leur existence et leur
importance particulière.

      A cet égard, l'herméneutique relève moins d'une explication de
texte que d'une implication de l'homme dans une ascèse du Sens
dont il pressent la clarté et dont il désire s'illuminer. Rien, dès lors,
ne saurait être moins austère et plus aventureux que
l'herméneutique car, à chaque instant, ce que nous pressentons
peut nous échapper, nous éblouir ou nous mentir. Le Sens d'une
oeuvre n'est jamais le résultat de cette agilité intellectuelle qui suffit
à résoudre les rébus ou les mots croisés. Le Sens n'est pas un objet,
mais, dirions-nous, en nous souvenant de Rainer Maria Rilke, un
Ange,- et « tout Ange est terrible... » Si tout d'abord le Sens ne s'offre
à nous qu'à travers des voiles et des nuées, ce n'est pas sans raison.
Le Sens est le Graal dont la vision transfigure et glorifie mais peut
aussi nous réduire en cendres. Ainsi les herméneutes devront-ils
être non point d'arrogants spécialistes, mais, selon la belle formule
de Nietzsche « des hommes profonds et joyeux, avec des âmes
mélancoliques et folles ». Parmi les diverses ruses du vieux nihilisme
professoral, l'une des moins honorables est sans doute d'avoir
voulu faire de Nietzsche un précurseur du matérialisme moderne.
Celui qui ne croit en rien comment serait-il le tragique jouet des
dieux ? Comment chanterait-il l'éternité et l'anneau du retour ?
Pourquoi, si le Rien domine, s'évertuer à sauver un idéal de qualité
humaine, de courtoisie et de bon goût, et placer tout cela, de
surcroît, sous l'égide du Mage Zoroastre ? Ainsi que le fait
remarquer Georges Gusdorf, auteur d'un excellent ouvrage sur les
origines de l'herméneutique: « Le nihilisme à la mode de notre temps,
menue monnaie du scientisme du siècle dernier et résurgence abâtardie de
l'esprit des Lumières, n'a rien à voir avec l'esprit romantique. Au surplus,
le thème de la mort de Dieu chez Nietzsche ne revêt pas la signification
qu'il a chez nos contemporains. Le Dieu mort des religions établies,

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